Microbiote intestinal et obésité

Ces dernières années, nous avons assisté à une explosion des connaissances concernant les fameuses bactéries du microbiote intestinal. Ces progrès sont venus de nouvelles techniques (la métagénomique) qui permettent de connaître le matériel génétique du microbiote. L’heure est bientôt venue même où, nous pourrons disposer du code génétique de notre microbiote intestinal. Ces découvertes ont bouleversé notre regard sur de nombreux problèmes de santé (allergies, diabète…) et en particulier celui de l’obésité. La question est donc posée : au-delà des prédispositions génétiques, de l’alimentation et de l’exercice physique, la composition de la flore intestinale contribuerait-elle à l’obésité ?
Microbiote intestinal : présentation
Le microbiote intestinal, appelé aussi flore intestinale, est constituée d’un microbiote dominant, d’un microbiote sous-dominant et d’un microbiote de passage.
Dans ce microbiote dominant, on distingue 3 grandes familles de bactéries :
Les Firmicutes
Les Bacteroidetes
Les Actinobacteria dont les fameuses bifidobactéries
Chaque individu possède son profil personnel de microbiote intestinal, sorte de code-barre ou d’empreinte digitale bactérienne. Tout l’enjeu de nos chercheurs actuellement est de pouvoir dépister des « codes-barres » ou empreinte digitale à risque prédisposant à certaines maladies dont l’obésité.
En effet, plusieurs études1,2 ont permis d’observer que les personnes obèses avaient un profil de microbiote intestinal particulier.
Ah si j’étais riche… en bactéries intestinales
Deux études, publiées dans Nature1,2, montrent qu’il existe un lien entre la richesse en certaines bactéries intestinales et l’obésité.
Ces 2 études ont analysé le génome bactérien de 341 personnes parmi lesquelles 134 non obèses et 207 obèses. Un quart possède un microbiote « pauvre » en espèces bactériennes, 80% des individus obèses font partie de ce groupe. Ce groupe présente, qui plus est, un risque accru de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires…
Quand on instaure un régime hypocalorique, riche en protéines et en fibres à ce groupe sur 6 semaines, on observe :
une diminution du poids,
une amélioration des paramètres biologiques,
Et aussi une augmentation de la richesse en bactéries intestinales
D’autres études, menées chez l’animal par les équipes de Jeffrey Gordon, ont montré que des souris axéniques (sans microbiote intestinal) avaient une adiposité moindre que leurs congénères avec microbiote intestinal et qu’elles restaient minces même avec un régime riche en graisses3.
Dans la même lignée, les chercheurs de l’INRA de Jouy-en-Josas, ont pu observer que soumises à un régime riche en graisses, les souris axéniques prenaient trois fois moins de poids que les souris normales nourries de la même façon4.
Quel est le rôle du microbiote intestinal sur le métabolisme énergétique ?
La bactérie Akkermensia muciniphila : un effet protecteur contre l’obésité ?
Troubles du comportement alimentaire : et si le microbiote intestinal était impliqué ?
L’intestin est un véritable cerveau. Il contient 200 millions de neurones soit autant que le cerveau d’un chien ou d’un chat. 95% de la sérotonine, « hormone de la sérénité » sont fabriqués au niveau de l’intestin. Il existe une communication entre l’intestin et le cerveau et si le stress influence notre intestin, l’inverse est vrai aussi. Notre 2nd cerveau peut jouer avec nos émotions et nos comportements.
Une équipe de recherche INSERM à Rouen spécialisée dans les relations cerveau/intestin a fait une découverte importante7 : une protéine fabriquée par une bactérie bien connue du microbiote intestinal Escherichia coli est le sosie d’une hormone, la mélanotropine, qui intervient sur la satiété. Lorsque cette protéine est fabriquée en abondance, des anticorps viennent la neutraliser et neutralisent en même temps la mélanotropine. D’où une augmentation de l’appétit.
En dosant les anticorps de 60 personnes ayant des troubles du comportement alimentaire, l’équipe de Rouen a montré que ces personnes présentaient un nombre d’anticorps élevé prouvant alors la tendance aux compulsions. Rétablir un meilleur équilibre au sein du microbiote intestinal et ainsi moduler la production de la protéine fabriquée par la bactérie E.coli pourrait permettre d’aider à limiter les compulsions excessives.
Moduler le microbiote intestinal par l’alimentation
L’idée de moduler la composition et/ou l’activité du microbiote intestinal par des apports nutritionnels adéquats apparaît comme une voie complémentaire dans la prise en charge des sujets obèses.
De premières études menées sur les prébiotiques
Par leur capacité à moduler favorablement la composition et l’activité du microbiote intestinal, les prébiotiques constituent une piste de recherche intéressante.
Les prébiotiques sont des « composés non-digestibles qui, via leur métabolisation par les micro-organismes de l’intestin, modulent la composition et/ou l’activité du microbiote intestinal, conférant par là un bénéfice physiologique à l’hôte »8.
On les trouve par exemple dans les fruits et légumes (bananes, asperges, topinambours et oignons, salsifis cuits…).
Dans le contexte de l’obésité et des maladies métaboliques associées, des études menées chez l’animal ont montré que l’administration de prébiotiques permettait de diminuer l’adiposité et la glycémie notamment9.
D’autres études ont pu mettre en évidence que la prise de prébiotiques augmentait presque systématiquement le nombre de bifidobactéries10.
Ces recherches nécessitent encore d’être complétées pour mieux caractériser l’intérêt d’un apport nutritionnel ciblé sur le microbiote intestinal de patients obèses.
Mais l’implication du microbiote intestinal dans la survenue de l’obésité ouvre de nouvelles perspectives de recherche et traitement pour une meilleure santé métabolique.
Article réalisé avec le Dr Laurence Benedetti, médecin nutritionniste, auteur du livre « Maigrir intelligent ; et si tout venait de l’intestin, notre deuxième cerveau ».3% de la population mondialeest en situation d’obésité (chiffre OMS 2014)20 à 30% de la population de sujets obèsesont un appauvrissement du microbiote intestinal1 Kg de bactériesenviron présentes au niveau de l’intestin.
Cotillard et al., (2013), Nature, 500(7464):585-8
Le Chatelier et al., (2013), Nature, 500(7464):541-6
Turnbaugh P., Ley R., Mahowald M., Magrini V., Mardis E., & Gordon J. (2006) An obesity-associated gut microbiome with increased capacity for energy harvest – Nature 444, 1027-1031
Obésité, la flore intestinale mise en cause, Philippe Gérard – Pour la Science n°447, janvier 2015
Delzenne N.M, Neyrinck A.M, Cani P.D., (2012) Implication du microbiote intestinal dans l’obésité et les pathologies associées : quelles perspectives thérapeutiques et nutritionnelles ? Obésité 7 :234-239
J Everard et al., 2013. PNAS, 110(22) :9066-71.
Tennoune et al., Translational Psychiatry (2014), 1–11
Bindels LB, Delzenne NM, Cani PD, Walter J (2015) Towards a more comprehensive concept for prebiotics. Nat Rev Gastroenterol Hepatol.
Delzenne NM, Neyrinck AM, Backhed F, et al (2011) Targeting gut microbiota in obesity: effects of prebiotics and probiotics. Nat Rev Endocrinol 7:639–46.
Cani PD, Neyrinck AM, Fava F, et al (2007) Selective increases of bifidobacteria in gut microflora improve high-fat-diet-induced diabetes in mice through a mechanism associated with endotoxaemia. Diabetologia 50:2374–83